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Entre Amnistie et Amnésie : Marianne Bayan

05/02/2025


À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Marianne Bayan,63 ans, documentaliste et écrivaine.

 

En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?

Ma famille et moi-même avons été attaqués dans notre maison à la montagne par nos plus proches voisins. Une nuit durant cela a été un cauchemar. Mon père qui avait toujours refusé de prendre les armes a réussi à nous sauver la peau par le pouvoir de sa parole et sans doute la bienveillance qu'il dégageait, ce n'est pas pour rien qu'il se prénommait Clément et que notre nom de famille signifie Le Discours....! Après cette attaque rien n'a été pareil et chacun de nous, nous étions 4 enfants, a été marqué d'une façon ou d'une autre, un zona, une anorexie... Chacun de nous quand nous avons tenté d'en parler une dizaine d'années plus tard avait un souvenir un des détails de cette nuit-là différents. Cet événement et la guerre au Liban en général a bien entendu changé non mon identité mais ma façon de vivre et de penser la vie. Essentiellement à mettre du temps à refaire confiance aux autres et se refaire des amis, la peur chaque fois inconsciente de devoir tout reconstruire en amitié et devoir la perdre sans raison et brusquement puisque du jour au lendemain je n'avais plus pu aller à l'école ni avoir les mêmes repères et habitudes. La deuxième chose essentielle qui m'a façonnée est d'avoir acquis une philosophie de la vie peu axée sur le matériel et en sachant que rien n'est jamais acquis, rien ne nous appartient vraiment et que tout peut nous être enlevé à tout moment que ce soit une guerre, une catastrophe naturelle ou ...Je me suis aussi alors tournée un peu plus vers le spirituel.


La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

Oui la guerre civile a laissé des traces dans ma vie aujourd'hui pas seulement physiques mais j'arrive par l'écriture et la communication à en faire des traces positives, comme ne plus me victimiser, savoir faire taire ma colère. Ces traces font aussi ma singularité, ma façon de dire, de parler, de manger et je suis fière de mes origines. 

 

Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?

Le silence, la nature, la musique et les bêtes m'aident et m'ont toujours aidé à gérer mes pensées et mes peurs, quant à l'écriture ou à mes recherches dans des fonds documentaires ce sont de précieux atouts.

 

Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

Oui les guerres de 2006 et 2024 m'ont à nouveau fait réfléchir à l'urgence d'apprendre à communiquer, à savoir écouter le point de vue de l'autre sans placer l'échange sur des binarités comme tort ou raison. Il y a un proverbe rwandais qui dit la famille qui ne parle pas, meurt. Je crois que les rwandais ont eu la volonté de faire mentir le proverbe après le génocide qu'ils ont vécu par le dialogue, ce qui a fait renaître un sentiment d'estime de soi chez chacun. C'est primordial, il n'est jamais trop tard pour parler.

Et si S'aimer n'est pas toujours possible - même au sein d'une même fratrie-, se Respecter est à cultiver.


Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Si je suis amenée à parler à mon fils de 37 ans ou à des amis plus jeunes que moi, mon message est de les encourager à être eux-mêmes, de combattre nos petites lâchetés quotidiennes, notre indifférence, qui nous font détourner la tête de ceux qui ont moins de chance que nous, de faire face. De faire de chacune de nos différences, une force, une complémentarité. Ne pas porter de jugements. Ne pas oublier le cœur. Je voudrais leur transmettre que le sens de la vie est une forme de résistance à la médiocrité à la bassesse à la haine à tout ce qui nous dégrade.


Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?

Je ne sais si je pourrai aider à construire mais je continuerai à écrire et à retourner y vivre. Sans doute mes écrits, mes projets de films oui pourront participer à une forme de reconstruction.


Voudriez-vous ajouter quelque chose ?

Je tiens beaucoup à ma culture orientale et mon âme est pour toujours libanaise.


Lire les autres témoignages ici.

Si vous désirez vous exprimer et témoigner, cliquez ici

 

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