À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Michèle M. Gharios, auteure
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
J’ai des souvenirs très présents de cette guerre qu’on appelle civile, mais dont l’appellation ne me convainc pas puisque j’étais scolarisée au début de cette guerre dans une école où le mélange n’était même pas perceptible. Une fanfare pour commencer. Des obus qui pleuvent. Un certain samedi noir où je courrais avec ma mère et ma sœur sur un trottoir trop haut. Les fous rires avec les voisins, abrités dans une chambre qualifiée de sûre au plafond très bas. Ma mère attendant en voiture, devant l’école le début des escarmouches dans la montagne, prélude d’une partie de bombardements. Une école provisoire où je ne connaissais personne. Un livre d’arabe indéchiffrable et une bonne sœur stricte au menton pointu. Un livre illustré d’images de cadavres et de destruction. La fuite sur une route embouteillée sous les bombes avec la cage du canari sur mes genoux. Ces souvenirs ont déconstruit mes repères que je cherche désespérément depuis.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
Pas de trace visible, mais une trace perceptible de spleen dont il est difficile voire impossible de se débarrasser. Une trace identitaire indélébile.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
C’est surtout d’un sentiment d’impuissance qu’il s’agit, puisque je ne détiens pas les outils nécessaires pour arrêter la guerre. Cette guerre comme un éternel recommencement tourne en boucle, mais je tente une trouée dans mes récits et poèmes en pensant au lecteur que ces traumatismes risquent de lasser.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
Évidemment, la bande-son s’en rapproche, la peur engendrée par un déferlement de violence réveille nécessairement les angoisses du passé, avec en plus, la responsabilité d’une famille à moi dont je m’inquiète. Être enfant puis adolescente et se sentir protégée puis passer au statut où les proches nous voudraient protectrice.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
Le courage d’espérer, malgré tout. S’accrocher au fil ténu de la vision d’un pays imaginaire.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
L’avenir du pays est peut-être incertain, mais si nous mettons les choses en perspective nous pouvons dire en guise de consolation que le monde entier est en pleine mutation. Ici le danger est plutôt visible. Ailleurs les défis sont grands et les violences latentes. Voilà pourquoi je garde l’espoir de voir le pays vivre une forme de renaissance. Et voilà pourquoi je ne perds pas de vue l’idée d’un pays neuf, différent peut-être de ce qu’il était, mais qui ne manquerait pas de magie, une magie que je me plais à peindre dans mes écrits, en même temps que je dénonce les idées létales qui minent la vision sublimée du pays que je voudrais mien.
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