À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Mona Trad Dabaji, artiste peintre, née à Beyrouth en 1950
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
Beyrouth, juin 1975, ma dernière année de fac ! L'AUB, un vent de liberté m'emportait tous les matins de St Nicolas à la rue Bliss dans ma petite Renault 6 sur une cassette de Bob Dylan que j'écoutais en boucle ! Quatre ans de bonheur ... sans savoir que ce jour-là je traversais d'Est en Ouest le ring de la mort ...termes que je ne connaissais pas encore et qui deviendront du jour au lendemain notre nouveau vocabulaire !!!
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
Une guerre inattendue qui laissera des traces dévastatrices dans nos vies.
La peur, la fuite, l'exil, et surtout et par-dessus tout, un monde qui bascule, où le familier devient hostile, où l'ami devient ennemi, ou tout devient méfiance et un quotidien à réinventer tous les jours. Cette sensation d'insécurité nous collera à la peau pour toujours.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
J'ai quitté le Liban en 1976 pour ne revenir définitivement qu'en 1992.
Quelques retours douloureux pour revoir ma famille m'ont replongé à chaque fois dans l'horreur de la guerre, sans pour autant arriver à me faire détester le pays !
La peinture m'a permis d'exorciser mes démons et de me réconcilier en partie avec le Liban de la guerre.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
Pour moi la guerre de 2006 n'a rien à voir avec celle de 2024.
En 2006 j'avais encore des rêves, en 2024 je n'en avais plus, et la guerre m'a été insoutenable !
Mis à part la peur et le bruit des obus je n'ai fait aucun lien avec la guerre civile, si ce n'est la fragilité du quotidien et cette façon absurde qu'ont les choses de basculer tout à coup dans le vide.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
Quand j'étais hors du pays et que j'hésitais à revenir, mon père m'a dit une chose qui m'est resté dans l'esprit longtemps, et qui s'est avérée si juste.
Il m'a dit : " Tu fais comme tu veux, mais ni toi, ni tes enfants, ni les enfants de tes enfants ne verront de paix définitive dans ce pays, nous passerons de compromis en compromis avec des périodes de grâce entre chacune."
Je crois que je dirai la même chose à mes enfants et aux jeunes générations.
Seul notre amour pour ce pays nous fera résister et supporter cette instabilité permanente.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Je n'ai plus envie de parler de résilience, je suis fatiguée comme la plupart des gens de ma génération qui ont vécu deux dévaluations de la Livre Libanaise, plusieurs destructions de la ville, c'est trop dans une même vie !
J'aimerai aller de l’avant, faire connaître aux jeunes générations tout ce qui nous rattache au Liban, son histoire, sa différence, parler de civisme, d'écologie, de vivre ensemble, d'appartenance....
Dans ma peinture tout gravite autour de notre identité, mon message est clair, mais il reste encore tant à faire...
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
Amnistie oui, mais pas d'Amnésie. La mémoire c'est ce qui nous permettra d'apprendre du passé, de voir le futur avec vigilance pour ne jamais refaire les mêmes erreurs.
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