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Entre Amnistie et Amnésie : Randa Asmar

07/02/2025

 

 À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Randa Asmar, Comédienne, Professeur à l’université des Beaux-Arts, directrice du « Beirut Spring Festival » de la Fondation Kassir

 

En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?

Une image me revient comme si c’était hier : les adieux à mon frère, sa femme et leur fille âgée d’un an, sur le quai du port de Kaslik. Ils prenaient l’hydroglisseur qui transportait à l’époque les libanais fuyant les bombardements vers Chypre, en espérant d’y obtenir un visa pour les Etats-Unis et ne plus retourner au pays.

Je n’oublierai jamais les larmes de mon feu père ce soir-là (je l’ai rarement vu pleurer devant nous), non pas à cause du chagrin de ne plus revoir son jeune fils unique, mais par peur de le perdre en mer, ce soir-là, atteint avec sa famille par les roquettes qui pleuvaient sur les voyageurs, jour et nuit.

 

La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

Jusqu’à ce jour, j’ai une phobie : le bruit. N’importe quel bruit. Je sursaute même pour un claquement de porte.

Jusqu’à ce jour, j’ai beaucoup de mal à mettre les pieds dans un hôpital pour visiter un malade ou dans un cimetière pour me recueillir avec un être cher disparu.

Jusqu’à ce jour, je fais le cauchemar de mon adolescence : nous subissons les bombes sans espoir de survie (mes amis, ma famille, etc.), ou bien nous sommes attaqués par des hommes armés dans la rue ou à la maison, sans aucun secours, sans aucune défense.

Dans ma vie d’aujourd’hui et bien que ce soit aussi simple qu’impossible, j’essaie d’éviter tout ce qui me tape sur le système nerveux. TOUT.

 

Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?

Je me suis toujours posée une question qui n’aura jamais de réponse : qui aurais-je été aujourd’hui si j’avais quitté le pays comme l’ont fait tous ceux que j’ai aimés ? Qu’aurait été ma vie ailleurs ?

J’ai toujours exprimé mes pensées et mes sentiments à travers mon métier de comédienne : sur scène et devant la caméra. Mon métier m’a donné beaucoup de bonheur. Il m’a sauvée en grande partie.

 

Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

Oui bien sûr, tout remonte en surface, mais tout, surtout que j’ai toujours vécu pas loin des fronts !  La mémoire sensorielle et celle, émotive, surgissent soudain, inconsciemment. Du coup, on sent que le temps s’est arrêté là-bas et que tout le reste de notre vie s’est effacé. 

 

Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Je dis souvent à mes élèves qu’ils doivent s’estimer heureux de vivre dans une ère différente de celle de leurs parents, loin du danger de mort (entendons-nous bien), loin de l’indignation, loin de la haine, loin du fanatisme confessionnel, loin de l’impossibilité de faire un bel avenir ici ou ailleurs.

Par conséquent, je tiens à leur donner de l’espoir même si, au fond, je n’y crois pas.

 

Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?

Trente-cinq ans après la fin de la guerre, je trouve que nous sommes lessivés (du moins ma génération), que les vieux (et moins vieux) mafieux ne veulent point démissionner ni foutre le camp. Ils se contrebalancent de la population comme de l’avenir du pays. Ils croient qu’ils sont éternels et que l’argent (très souvent volé) leur assurera cette éternité.

En contrepartie, je pense que la résilience et l’authenticité sont des armes essentielles auxquelles nous nous accrocherons toujours, pour continuer à sourire, à donner de l’amour, à mettre le nom du Liban au plus haut degré, jusqu’au bout, et ce, par reconnaissance à nos prédécesseurs qui se sont sacrifiés au vrai sens du terme, rien que pour l’amour du pays.

 

Voudriez-vous ajouter quelque chose ?

Une blague absurde : j’espère que les politiciens feront un jour une bataille pour obtenir le ministère de la culture !!

Sans blague : bénis soient tous ceux qui œuvrent pour l’art et la culture. Ce sont les bastions d’une nation qui ne mourra jamais.


Lire les autres témoignages ici.

Si vous désirez vous exprimer et témoigner, cliquez ici

 

 

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