Entre Amnistie et Amnésie ; où est passé le souvenir de la guerre civile.
A l’occasion des 50 ans de début de la guerre civile libanaise (1975- 1990), Entre Amnistie et Amnésie est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel comme une tribune pour exprimer des souvenirs, des ressentis et des blessures et cicatrices (pour certains encore ouvertes) de la guerre civile.
Les questions sont adressées à toute personne qui désire apporter son témoignage et ses réflexions dans une optique de partage et de message pour éviter de reprendre le chemin de la violence.
Témoignage de Zeina Saleh Kayali, 64 ans, auteure
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
J’ai vécu la guerre civile à Beyrouth de 1975 à 1987 à quelques mètres de la ligne de démarcation, dans le quartier de Tabaris. Puis je me suis exilée à Paris. J’avais 15 ans quand la guerre a commencé et 30 ans quand elle s’est terminée. J’ai le sentiment d’une jeunesse gâchée et spoliée. Et j’ai notamment le souvenir de mes quatre années de droit effectuées à l’Université Saint Joseph (1978-1982) dans des conditions totalement surréalistes pour ne pas dire délirantes. Je ne le souhaite à personne.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
Elle m’a rendue philosophe et m’a donné une forme de sagesse : je considère que ce qui n’est pas guerre, mort ou maladie, n’a finalement pas grande importance et peut se gérer sans psychodrame.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
J’ai l’impression d’un cauchemar (un peu long quand même !) qu’il convient d’oublier ou d’évacuer. Je me dis toutefois (pour me consoler ?!) que je n’aurais peut-être pas fait certaines rencontres essentielles sans la guerre.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
Elles ont généré en moi un sentiment de lassitude, de déjà vu, une espèce de résignation à une fatalité qui nous poursuit, nous Libanais.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
Je n’arrive pas à raconter mes souvenirs de la guerre aux jeunes générations. Et mes enfants ont eu beau me supplier pendant des années, elles n’ont jamais réussi à m’extraire un mot à ce sujet.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Aujourd’hui un vent d’espoir souffle sur le Liban. Sera-t-il éphémère ? L’avenir nous le dira. En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé que la meilleure résistance face à la guerre et à la violence, passait par la culture. Qu’un peuple qui n’existe pas politiquement (ce qui est notre cas) peut en tout cas exister (et doit s’affirmer) culturellement. Et c’est ce que j’essaie de vivre et de transmettre aujourd’hui.
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
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